9 mai 2014

Quand l'histoire oublie


Une belle couverture avec un joyeux vainqueur et quatre jeunes femmes énamourées ; un titre euphorique puisque la France chassait les nazis : C’était… le bel été 1944. Comment ne pas acheter la revue proposée par deux célébrités de l’édition, rassuré par le beau savoir faire de Paris Match et le sérieux savoir faire de l’Histoire ?
Et comme j’ai beaucoup, et depuis de très longues décennies étudié le problème, je suis interpellé par la page 82 : Un camp en Alsace. Celui du Struthof, le parfait exemple de camp de concentration en France… mais qui n’était pas français.

Et là, pas même une surprise, ce sont toujours les mêmes omissions. Par ignorance… ou volontairement ? Car enfin, cela fait maintenant quelque 40 ans que j’écris régulièrement que ce camp, à l’origine allemand, est devenu français pendant l’hiver 44-45 quand les vainqueurs y internèrent à leur tour des Allemands, et non pas seulement «  des personnes suspectes de collaboration ».

Rappelons ce qui se passe en décembre 1944 et janvier 1945 en confrontant les écrits officiels et mes recherches personnelles.

Tout commence le 23 novembre 1944 avec la reprise de l’Alsace et de la Moselle par l’armée de Leclerc. C’est Margareth Hansen que je suis allé retrouver à Chicago où elle vivait depuis sa libération qui m'explique : Mon père, officier de réserve [allemand], avait été affecté dans le personnel au sol de l’aéroport d’Hagueneau. Nous pensions pouvoir demeurer dans notre maison de Strasbourg mais, deux semaines plus tard, tous les ressortissants allemands durent se faire enregistrer, avec « bagages », à la préfecture où nous fûmes gardés toute la nuit. Le lendemain, on nous conduisit en camions jusqu’au camp de Schirmeck où les FFI nous maltraitèrent malgré l’intervention des Américains. Le 1er janvier [1945], on nous transféra dans le camp du Struthof.


Le camp du Struthof aujourd'hui. (Photo Pierre Jamin)

Des civils allemands internés au Struthof après la libération de l’Alsace…

Je suis également allé voir, cette fois à Strasbourg, une seconde ancienne internée, Elisabeth Barthélémy, amie de Margareth. Elle me parla de ce transfert : […] Voyage à pied sur un chemin pentu. Toute personne âgée qui ne marchait pas assez vite était délestée de son maigre bagage. Les FFI qui nous encadraient se contentaient de jeter les valises dans le ravin.
Le Struthof en hiver, même pour seulement quelques jours, fut un calvaire. […] On nous a montré un abat-jour confectionné du temps des Allemands avec la peau d’un Tsigane. Pour trouver un peu de chaleur, j’ai dû fouiller dans des sacs remplis des vêtements de ceux qui avaient été gazés. A Schirmeck, on nous avait distribué des pantalons de l’armée allemande.

Ce sont des civils, et en grande majorité des femmes, les hommes, mobilisés, étant morts aux combats et les survivants essaient d'arrêter l'avance des alliés sur les différents fronts. C'est que la guerre n'est pas terminée en cet hiver 44/45. Ces civils ennemis ont été arrêtés par les Services de Sécurité Militaires, la Police Française et les FFI. Pas de pitié pour les vaincus d’où venait tout le mal, pour paraphraser le bon Jean de La Fontaine des Animaux malades de la peste.
Beaucoup, parmi les plus âgés, sont des Allemands qui ont vécu en Alsace et en Moselle après leur victoire de 1871, et qui, lorsque Hitler a annexé – et non pas occupé – ce territoire qu’il disait germanique, étaient revenus au cours de l'été 1940 dans leur ancienne maison ou ferme, ou qui se trouvaient dans des maisons de retraite près de l’endroit où ils avaient autrefois heureusement habité. Les femmes plus jeunes avaient, de l’été 1940 jusqu’à ce décembre 1944, travaillé dans les administrations allemandes, ou comme infirmières dans ces maisons de retraite.
Pour expliquer le naturel de cette situation, je prends parfois un exemple pédagogique… mais que d’aucun pourrait juger saugrenu ? Imaginons que la France eût repris l’Algérie dans les années 1990-2000. Ne croyez-vous pas que ceux que nous appelons les pieds-noirs seraient bien vite retournés là où ils avaient vécu heureux, et sous un climat plus accueillant que celui d’une métropole qui n’était pas leur pays ? Simple exemple pédagogique, n’est-ce pas…

… avant d’être transférés en Anjou.
Les internés ne restent pas longtemps au Struthof car l’on craint que leurs compatriotes, qui se battent toujours de l’autre côté de la frontière, ne viennent les libérer. Il est alors décidé de les transférer de nouveau, mais loin du front cette fois, à Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire, où existe un vaste camp de concentration qui enferme des Tsiganes – que l’on appelle « nomades » depuis une sinistre loi de juillet 1912, que l'on maintien dans un camp, gardés par des gendarmes français… car pour cette population mal aimée, l’heure de la libération n’a pas encore sonné, même si les derniers soldats allemands ont quitté l’Anjou depuis le 29 août 1944. Encore une aberration qu’il faudrait bien expliquer. Pour loger les civils allemands, il suffit d'expédier les nomades ailleurs. Et c'est dans les camps de Jargeau (Loiret) et d'Angoulême (Charente), que les derniers ne quitteront qu'en juin... 1946 !


Le camp de Montreuil-Bellay vu d'un mirador en 1944. (Archives J. Sigot, J.-C. Leblé)

Et c’est ainsi que le 20 janvier 1945, à la tombée de la nuit et dans la neige, entrent dans le camp de Montreuil-Bellay 796 sujets allemands, dont 620 femmes, 105 hommes et 71 enfants, après un long voyage de deux jours en wagons à bestiaux.
C’est,  au cours du premier mois, l’hécatombe parmi des vieillards peu habitués aux restrictions et qui logent dans des baraquements dévastés et non chauffés.


Jeune Allemande décédée dans le camp de Montreuil-Bellay le 14 février 1945. 
(Archives J. Sigot)

Quelque neuf mois après leur arrivée naissent pourtant quelques enfants dans le camp, mis au monde par des jeunes femmes qui ont été violées par leurs gardiens au Struthof, enfants que l'on inscrit dans les registres de l’état civil de la mairie de Montreuil-Bellay. J'ai correspondu avec l'une de ces mères qui m'a demandé de ne pas publier son nom.


Margareth Hansen et Elisabeth Barthélémy sont revenues à Montreuil-Bellay pour témoigner. 

Juste deux lignes dans le numéro spécial de Paris Match L’Histoire pour dire ce qui s'est passé au Struthof après la libération de l'Alsace, le 26 novembre 1944 : Il [le camp du Struthof] accueille alors des personnes suspectes de collaboration, avant de devenir un mémorial.

C’était… le bel été 1944, avant un bien triste hiver pour des civils allemands vaincus et des Tsiganes français oubliés.


Cette histoire est plus complète dans mon ouvrage Des barbelés que découvre l’Histoire. Un camp pour les Tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1946, Editions Wallada.

Autre page "histrorique" rédigée au cours de la même nuit :
http://jacques-sigot.blogspot.fr/2014/05/lanar-sous-les-drapeaux.html

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Difficile de montrer cette face noire ! La tentation de punir le peuple allemand pour sa soumission aux nazis a été forte. Rares étaient les résistants Allemands, j'en ai rencontré.

Un manque scandaleux surtout si l'article ne le suggère même pas. Faut dire que ces exactions n'ont pas été de la même ampleur que les crimes nazis. Rares sont les résistants qui ont épargné quand il n'était pas nécessaire de tuer.
J'en ai bien connu un, Jacques Vico, qui lors de la guerre d'Algérie a été l'un des rares à dénoncer l'infamie.
Nous avons avec lui emmené des élèves au Struthof et ce que tu dénonces ici a été dit.